#1 Conseil des enfants du quartier de la Meinau

#1 Conseil des enfants du quartier de la Meinau

LES ENFANTS, CITOYENS ENGAGÉS

“C’est moi le président !” Pas peu fier, Mohamed-Amine donne le coup d’envoi de la deuxième réunion du conseil de quartier des enfants. Ce dernier rassemble des élèves de CM1 et de CM2 des écoles Jean-Fichart, de la Meinau et de la Canardière, élus délégués par leurs camarades pour transmettre leurs idées de projets pour leurs écoles ou le quartier. Ils travaillent également à leur réalisation. « Le président, c’est celui qui anime la séance. Cela ne veut pas dire qu’il décide pour les autres», précise avec bienveillance Marie Pincemaille, qui encadre le conseil avec deux autres membres de l’association Thémis.

LEVER LES FREINS À L’ENGAGEMENT

Ce dispositif, lancé en octobre dernier, fait partie des expérimentations menées par la Ville afin de favoriser l’engagement citoyen des jeunes et de les accompagner dans la réalisation de projets. Pour comprendre l’origine de la démarche, il faut remonter au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Casher, en 2015. Plusieurs initiatives voient le jour et convergent grâce à l’action d’acteurs associatifs locaux. Ensemble, au fil de réunions et d’un Forum organisé début 2017, ils identifient les freins à l’engagement des jeunes et les solutions à y apporter. Premier constat, la nécessité de «faire autrement». «À cet âge, où l’on change très vite, il faut proposer des formats par nature évolutifs, plus souples et variés, et sortir des schémas institutionnels classiques», expose Mathieu Cahn, adjoint au maire en charge de la jeunesse. C’est ainsi que la Bourse aux idées est lancée en janvier.

Deuxième constat: les politiques pour et par les jeunes prennent tout leur sens à l’échelle des quartiers. Le Forum des jeunes (voir Strasbourg Magazine n°296), organisé en novembre 2018 à la Meinau, a confirmé cette idée. Cette journée de dialogue entre les jeunes et les associations locales, mais aussi entre les jeunes eux-mêmes, a mené à l’émergence de cinq projets concernant la création d’un réseau social de quartier, l’évolution du soutien scolaire et l’apaisement des relations au sein d’un établissement scolaire. La volonté de nouer un dialogue entre les jeunes et la police s’est concrétisée en février, lors d’une rencontre au sein du centre socio-culturel. Le cinquième projet, organiser une scène ouverte pour les talents artistiques locaux, devrait aboutir en juin lors de la fête du parc Schulmeister. L’engagement des jeunes est aussi freiné par «l’idée fausse, qu’ils ont eux- mêmes intégrée, selon laquelle ils seraient immatures et illégitimes, ajoute Mathieu Cahn, également président de l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej). Dans les quartiers populaires, cela peut s’accompagner d’un sentiment de discrimination et d’un rapport distant et compliqué avec les institutions, ce qui ne facilite pas le dialogue. Il faut que les jeunes aient confiance en nous et nous devons leur faire confiance en retour. »

LES ENFANTS, DES CITOYENS À PART ENTIÈRE

Le conseil de quartier des enfants répond en partie à cette problématique. «Cette première expérimentation démocratique vécue par les enfants vise à leur faire comprendre qu’ils sont des citoyens à part entière et qu’ils ont des choses à dire et à proposer», acquiesce Thomas Kaybaki, de l’association Thémis. Et des projets, ils n’en manquent pas. Après avoir désigné Alina, Ciara et Marwa comme secrétaires de session chargées d’en rédiger le compte-rendu, les élèves se répartissent en groupes pour avancer sur les projets à l’ordre du jour. Autour des tables, les idées fusent. On phosphore, on se contredit, on approuve, on rigole. Puis vient le temps de la restitution. Une déléguée présente le projet de cabane à livres: «Elle aura des roues pour qu’on puisse la déplacer. Objectif: permettre aux enfants et aux adultes de lire dans le parc. Contenu: magazines, livres, mangas. » Sa camarade enchaîne sur le projet de «colorer les écoles et les bâtiments publics pour les rendre plus jolis et empêcher d’endommager les murs». Marwa termine avec une proposition de tournoi sportif, «pour être plus fairplay. On ferait un tournoi olympique avec plusieurs sports et on mélangerait les classes.»

Cet exercice mobilise beaucoup de compétences comme la lecture et l’écriture, la prise de parole en public, l’argumentation, le fait de savoir écouter. Il responsabilise les délégués qui mettent à disposition des autres enfants un cahier regroupant les comptes- rendus des réunions, afin qu’ils suivent l’avancement des projets, et interviennent lors des conseils de classe, organisés une fois par semaine dans toutes les classes des trois écoles. «Nous leur faisons comprendre qu’ils représentent leurs camarades et leur école, et non eux-mêmes», reprend Thomas Kaybaki. C’est justement ce qui intéressait Sabrine, déléguée de CM2 à l’école de la Canardière. «J’aime bien parler de mon école et dire au conseil les idées des autres.» Resul, scolarisé à Jean-Fichart, préfère «rencontrer les gens des autres écoles». Son instituteur, Nicolas Herrgott, a été formé par Thémis avant le début de l’expérimentation. «C’est intéressant que les élèves aient un lieu où s’exprimer, estime-t-il. Ils sont très demandeurs. Maintenant, ce qui va les marquer, c’est de voir leurs envies réalisées. »

TROIS PROJETS EN COURS

Les choses sont en bonne voie: les trois projets pourraient se concrétiser avant la fin de l’année scolaire. Thémis, plusieurs structures du quartier et des services de la Ville y travaillent. L’expérimentation pourrait être généralisée à l’ensemble des quartiers strasbourgeois. Elle servira également, avec la Bourse aux idées et le prochain Forum des jeunes qui se déroulera à Hautepierre au printemps ou en été, à alimenter les réflexions autour de la création d’un Forum strasbourgeois de la jeunesse. À ce sujet, rien n’a encore été décidé. Peut-être bien que Mohamed-Amine voudra en être le président…

Article de Léa DAVY, paru dans le numéro #298 de Strasbourg Magazine

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