Et si l’accumulation de propositions de lois, même adoptées à
l’unanimité des parlementaires présents, ne faisait que
masquer les failles de la protection de l’enfance ?
Le législateur est sollicité à l’envi pour corriger les
défaillances des acteurs auprès des enfants.
Une question essentielle est cependant escamotée : chaque
enfant dans sa singularité doit appeler une réponse
différenciée, sauf si la société décide que certains
comportements ou plus exactement infractions, doivent
entraîner une réponse déterminée.
Il peut en être ainsi des actes incestueux, qui, par la
transgression de l’interdit fondamental de nos sociétés,
justifient un retrait définitif et automatique des attributs de
l’autorité parentale. Retirer l’autorité parentale à celui qui
s’affranchit des interdits sexuels organisateurs des rapports
intergénérationnels revient tout simplement à entériner ce
qu’il a lui-même mis en œuvre.
Une réponse plus nuancée doit, nous semble-t-il, être
apportée aux crimes et délits de violences commis par un
parent sur l’autre dans la mesure où si celles -ci ne sauraient
être tolérées, elles ne remettent pour autant pas en cause les
fondements universels de la civilisation.
Le juge pénal (cour d’assises et tribunal correctionnel) a été
par des textes successifs invité à prononcer le retrait de
l’autorité parentale ou de son exercice pour les père et mère
condamnés comme auteurs, et complices pour crime ou délit
commis soit sur la personne de leur enfant, soit par leur
enfant, soit sur la personne de l’autre parent (cette dernière
extension résulte de la loi du 1er aout 2020).
Rappelons que le juge civil a la compétence de principe pour
retirer l’autorité parentale aux père et mère qui mettent en
danger leur enfant (du point de vue de la sécurité, de la santé
ou de la moralité) par des mauvais traitements, une
consommation habituelle excessive d’alcool ou de
stupéfiants, une inconduite notoire ou des comportements
délictueux, notamment lorsque l’enfant est témoin de
pressions ou de violences physiques ou psychiques exercées
par l’un des parents sur la personne de l’autre, ou par un
défaut de soins ou un manque de direction.
Le juge a l’obligation de se prononcer, mais il garde
l’appréciation du bien-fondé de la mesure, au regard de
l’intérêt de l’enfant, et de l’objectif de le protéger.
Il garde aussi l’opportunité d’apprécier si le retrait doit être
total ou partiel, et il peut assortir la mesure de l’exécution
provisoire (nonobstant une voie de recours).
La loi du 28 décembre 2019 a introduit des modifications
d’importance aux règles de l’autorité parentale, visant à
mieux protéger l’enfant et le parent victime de violences de
l’autre parent. Elle a créé un réel bouleversement des
principes en la matière en ordonnant dans le cas de poursuite
ou de condamnation même non définitive la suspension
provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et
de tout droit de visite et d’hébergement en cas de crime
contre l’autre parent, et ce jusqu’à la décision du juge aux
affaires familiales, pour une durée de 6 mois maximum.
Une circulaire du 28 janvier 2020 a précisé les actes de poursuite
(réquisitoire introductif contre la personne dénommée, mise
en examen, mandat suivi de recherches infructueuses)
excluant les plaintes avec constitution de partie civile.
Le procureur de la république doit saisir le juge aux affaires
familiales dans les 8 jours, auxfins de délégation de l’autorité
parentale et defixation des modalités d’exercice de l’autorité
parentale.
La suspension revêt un caractère provisoire jusqu’à la décision
du juge aux affaires familiales ou la juridiction pénale.
Une nouvelle proposition de loi, du 15 décembre 2022, étend
la suppression automatique de l’autorité parentale aux
situations de poursuite pour des violences ayant entraîné une
incapacité totale de travail supérieure à 8 jours sur l’autre
parent, et rend obligatoire le retrait de l’autorité parentale en
cas de viol ou d’agression sexuelle sur l’enfant.
Enrichie par de nombreux amendements, la proposition de loi
adoptée le 9 février 2023 :
– élargit la suspension de l’exercice de l’autorité parentale et
des droits de visite et d’hébergement de plein droit au parent
condamné même non définitivement pour des violences
volontaires sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité de
travail de plus de 8 jours lorsque l’enfant a assisté aux faits
– impose le retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des
droits de visite et d’hébergement en cas de crime sur l’enfant
ou l’autre parent sauf décision spécialement motivée
Si la conséquence de ces textes successifs est un
amoindrissement du pouvoir d’appréciation du juge, ce qui
est regrettable dans un état de droit, elle conduit aussi non
seulement à un déni de l’expression singulière des enfants
concernés mais également à les priver de ce qui est, dans
certains cas, un appui dont ils peuvent avoir besoin et que le
juge pourrait leur préserver.
Rappelons à ce propos que selon l’article 9 de la Convention
internationale des droits des enfants, qui dispose que l’enfant
ne doit pas être séparé de ses parents, et que si tel est le cas il
a le droit de les voir régulièrement sauf si cela est contraire à
son intérêt, il est essentiel que chaque situation soit
examinée dans sa singularité, que l’enfant doit avoir la
possibilité de faire valoir son expression et qu’ il appartient au
juge d’exercer sa mission, à savoir déterminer l’intérêt
spécifique de chaque enfant.
Rappelons également que l’intérêt de l’enfant est constitué
par la dimension relationnelle, qui passe par l’amour parental
et que celui-ci doit apporter à l’enfant une relation d’attachement,
sécurité affective mais aussi stabilité. C’est pourquoi les
parents doivent être à l’écoute de leurs enfants et de leurs
problèmes, être affectueux et avoir sur eux un
regard positif. Or rien n’indique que cet amour est
systématiquement absent chez les parents mis en cause.
Relevons encore que la qualité du lien que l’article 9 veut
garantir à l’enfant se mesure à travers deux sentiments : le
sentiment de protec:on, c’est-à-dire quand l’enfant considère
qu’il peut « compter sur » son père et/ou sa mère, et le
sentiment de reconnaissance, quand l’enfant ressent qu’il
« compte pour » son père et/ou sa mère. Ainsi, ne pas être
valorisé par ses parents peut constituer une souffrance tout
aussi forte que ne pas pouvoir compter sur eux. Or là encore
rien ne permet de prétendre que les enfants témoins de
violences faites à leur mère par leur père sont
systématiquement privés de liens pouvant avoir ces qualités
avec l’autre parent.
Ces enfants, nous les accompagnons à Thémis (association
d’accès au droit pour les enfants en Alsace) en tant
qu’administrateur ad hoc dans toutes les procédures dans
lesquelles les parents ne peuvent représenter leurs intérêts ;
plus de 1000 enfants sont ainsi représentés par nous par an,
ce qui nous autorise à revendiquer en leur nom le respect de
leurs droits. A ce titre notre association proscrit toute
généralisation et veille à ce que leur expression individuelle,
quelle qu’elle soit, leur soit permise.
Ainsi, de nombreux enfants ont pu nous faire part de leur
désir de garder ou de reprendre contact avec un de leurs
parents s’étant livré à des violences sur leur conjoint, ceci que
ce parent ait reconnu les faits ou non, qu’il ait été sanctionné
ou non. Un exemple récent peut être cité : nous avons été
désignés en tant qu’administrateur ad hoc pour une fratrie de
quatre enfants, le père étant poursuivi pour des violences
commises sur la mère des enfants et eux-mêmes. Rencontrés
avant l’audience, trois d’entre eux avaient exprimé leur
souhait de voir leur père malgré les faits. Le père a été
reconnu coupable pour l’ensemble des incriminations et
condamné à 24 mois d’emprisonnement dont 8 de sursis
probatoire de 2 ans avec une interdiction d’entrer en contact
avec les victimes et un retrait de l’autorité parentale a été
prononcé. Lors de l’entretien de restitution, que nous avons
systématiquement avec les enfants au terme des procès pour
leur en expliquer les conclusions et leur sens, les enfants ont
néanmoins tous les 4 demandé comment ils pourraient rester
en contact avec leur papa dont ils expliquaient avoir besoin.
Dans d’autres suivis, en particulier quand leurs mères
présentaient des carences, se révélaient elles-mêmes en
grandes difficultés psychologiques ou trop peu sécurisantes,
nous avons pu constater que les enfants souhaitaient que
leurs pères, à qui ils conservaient leur confiance, continuent
de s’impliquer dans leur éducation et prennent soin d’eux.
Il est évident que la suppression automatique de l’exercice de
l’autorité parentale, a fortiori sa suppression totale, priverait
ces enfants d’un appui d’autant plus nécessaire que, surchargés
comme ils le sont, les services sociaux ne peuvent pas toujours
le leur garantir.
Comment le législateur peut il justifier que la représentation
des enfants n’ait pas été prévue, par un administrateur ad
hoc le cas échéant et systématiquement par un avocat
désigné par le bâtonnier ?
La protection des enfants exige que des décisions soient
prises allant souvent à l’encontre de ce qu’ils revendiquent ;
mais leur parole doit être entendue, afin que la décision
judiciaire ait toute sa légitimité .
L’examen par le Sénat de cette proposition de loi, dont la
portée s’avère en définitive très limitée, nous amène à
rappeler une revendication sans cesse renouvelée depuis
2007, à savoir la possibilité pour les enfants de saisir
directement le juge aux affaires familiales pour les
questions relatives à l’autorité parentale qui les concernent
principalement. N’oublions pas la réversibilité des décisions
de retrait de l’autorité parentale à l’exception des situations
où l’enfant a été placé en vue d’adoption. Les parents ayant
fait l’objet d’un retrait total ou partiel de l’autorité parentale
peuvent saisir la justice un an après la décision initiale en vue
de la restitution de leurs droits en justifiant de circonstances
nouvelles. Le mineur n’a pour sa part aucun accès au
juge compétent.
Comment se satisfaire de cette surenchère législative sans
l’inscrire dans une réflexion plus globale sur la volonté de
mieux traiter les enfants victimes non seulement en justice
mais dans les services de soins et d’accueil et aussi sur la
politique à mettre en œuvre en matière de prévention, au
niveau des enfants, certes, mais surtout de tous les
professionnels par une formation adaptée, mettant ainsi
enfin en application la convention européenne ratifiée de
Lanzarote sur la protection des enfants victimes entrée en
vigueur en 2010 !
Force est de constater qu’une fois encore l’inflation de ce
type de mesures et des effets d’annonce qui les
accompagnent se substituent aux initiatives qui devraient
s’imposer si la question des intérêts des enfants était
réellement prise en compte.
Josiane BIGOT, magistrat honoraire, présidente fondatrice de
Thémis
Claude SCHAUDER, psychanalyste, ancien professeur associé
des Universités en psychopathologie clinique, membre de
l’équipe de Thémis
Monia ZOGHLAMI, directrice de Thémis