Josiane Bigot : “Le coronavirus s’attaque au droit des enfants”

Josiane Bigot : “Le coronavirus s’attaque au droit des enfants”

Tribune paru dans les DNA

La crise sanitaire perturbe gravement les dispositifs de protection de l’enfance. “Il y a une urgence extrême à doter les intervenants sociaux à domicile du nécessaire assurant leur sécurité et de les inviter ensuite expressément à exercer leur mission en retournant dans les familles auprès des enfants repérés”, écrit notamment Josiane Bigot, présidente de Themis, association pour l’accès au droit des enfants et des jeunes.

 

“Je fais partie de cette génération qui a connu le progrès, technologique, scientifique , économique, mais aussi l’avènement de l’Europe pacifiée, des libertés individuelles et de l’égalité. Et c’est aussi celle qui aujourd’hui doit répondre devant les jeunes générations d’un laisser-aller coupable face aux risques écologiques et climatiques.

Comment surmonter le sentiment d’impuissance qui m’étreint, comment supporter le désarroi voire le désespoir de ceux qui restent confrontés quotidiennement à ce qui a été et reste le fil rouge de ma vie, la protection de l’enfant et de ses droits ?

Je veux exprimer ici mon admiration pour tous ces personnels engagés au service de l’enfant.

Il y a lieu certes de regretter quelques décisions hâtives prises par les conseils départementaux, voire les juges des enfants, de retours en famille prématurés, en ignorant quelle en serait la durée, et quel suivi réel pourrait être mis en place afin de s’assurer de la sécurité des enfants.

Les salariés ont permis par leur présence, au risque de leur santé compte tenu de l’absence de protection pendant bien trop longtemps, la continuité des établissements divers de la protection de l’enfance et des établissements accueillants des enfants en conflit avec la loi.

En sous-effectif, sans activités extérieures et en particulier en l’absence de scolarité, il leur a fallu entourer des enfants inquiets du contexte particulier et anxiogène, en souffrance de l’absence de relations physiques familiales, créant des tensions à l’intérieur des groupes pouvant aller jusqu’à des attitudes agressives, voire violentes. Et nous savons que le savoir-faire, mais surtout l’adaptabilité de nombreuses  équipes éducatives ont abouti à un dépassement du contexte pour des moments de vie intenses, avec notamment des réalisations envers les plus démunis , les personnes âgées, ou les soignants (dessins, textes, vidéos mais aussi gâteaux et douceurs..)

L’absence d’intervention des travailleurs sociaux à domicile

Mon angoisse grandit chaque jour cependant à entendre ou lire la détresse de tant de familles, mais surtout des enfants. La promiscuité conjuguée à la précarité ont des effets dévastateurs sur un grand nombre de parents auxquels les enfants sont alors exposés , sans filtre , sans tiers et trop souvent sans recours. L’absence d’intervention des travailleurs sociaux à domicile ne permet pas de déceler les situations de danger et la mise à l’abri . Les contacts téléphoniques s’avèrent bien trop souvent illusoires, la parole des enfants restant sous le contrôle parental, et les représailles le cas échéant. Il en est de même des investigations à distance lorsqu’une situation est repérée par le canal d’un appel au 119. Il y a une urgence extrême à doter les intervenants sociaux à domicile du nécessaire assurant leur sécurité et de les inviter ensuite expressément à exercer leur mission en retournant dans les familles auprès des enfants repérés.

Et je ne peux taire ma colère devant le peu de cas accordé aux droits des enfants ,qui s’estompent jusqu’à disparaître dans la lutte contre le virus. Il en est ainsi des ordonnances prises en application de la loi instituant un état d’urgence sanitaire qui prévoient en assistance éducative des reconductions de mesures en s’assurant de l’accord de l’un des parents, de l’avis des services éducatifs et qui ignorent totalement la voix de l’enfant.

Je doute que le combat sanitaire justifie l’oubli des acquis des dernières décennies, en matière de besoins fondamentaux et de droits de l’enfant.

Je garde l’espoir que le talent humain restera ou se remettra au service de l’enfant.”

Josiane BIGOT magistrat honoraire présidente de Themis et de la CNAPE (convention nationale des associations de protection de l’enfant) membre du bureau du Conseil National de Protection de l’Enfance.