Non consentement avant l’âge de 13 ans : tribune de notre présidente Josiane Bigot

Non consentement avant l’âge de 13 ans : tribune de notre présidente Josiane Bigot

Tout ce temps perdu au détriment des enfants victimes..

Le Sénat a su entendre la détresse des enfants victimes de crimes sexuels en adoptant le 21 janvier en première lecture la proposition de loi Billon qui criminalise tout acte sexuel entre un adulte et un mineur de 13 ans.

Nous savions que la loi du 3 août 2018 n’allait en rien améliorer le sort des enfants. En refusant de quitter le terrain de l’incrimination du viol, on maintenait de facto le questionnement autour du consentement des jeunes victimes. Le viol suppose la nécessité de rapporter que les faits ont été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. Certes, la notion de contrainte s’agissant d’enfants de moins de 15 ans a été assouplie, à condition de prouver que la victime ne disposait pas du discernement nécessaire pour consentir. Toutes les marges d’appréciation sont ouvertes, et l’on a évidemment continué à poser des questions intrusives et culpabilisatrices aux enfants dans le cadre des enquêtes et des procédures judiciaires.

C’est ce constat que fait Madame Alexandra Louis, députée chargée de l’évaluation de cette loi, et qui en fut rapporteur. Ses propositions vont elle aussi dans le sens de l’institution d’un crime résultant de la commission d’un acte sexuel commis par un adulte sur un mineur de 13 ans.

Comment comprendre alors les réticences du Garde des Sceaux lors des débats devant le Sénat, refusant de souscrire d’emblée à cette proposition parlementaire ?

Pourquoi cette déclaration forte du Président de la République, sans aucune référence à cette loi de progrès ?

Pour la première fois pourtant, une loi pose résolument l’interdit absolu de toute relation sexuelle d’un adulte avec un enfant, dont l’âge a été arrêté à 13 ans par le Sénat avec le maintien d’une présomption de non consentement pour les enfants de 13 à 15 ans.


Le sénat a, adoptant un amendement du groupe socialiste, opté pour une prescription glissante, qui permettra dorénavant de poursuivre tous les actes commis par un auteur à partir du moment où l’un aura été commis hors de la prescription qui , rappelons -le est de 30 ans après la majorité de la victime.

Je me réjouis de la création d’une commission sur cette thématique, même si je ne puis là aussi que regretter tout ce temps perdu, et rappeler que la France a ratifié la convention de Lanzarote du Conseil de l’Europe, conclue et signée le 25 octobre 2007, que tous les Etats du conseil de l’Europe ont signée et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2010.

Elle porte en elle toutes les réponses aux missions assignées à la commission : prévenir, protéger, punir.

Voilà donc près de 15 ans que l’Europe a pris la pleine mesure de cette problématique et je puis témoigner personnellement ,étant expert scientifique pour l’adoption de cet outil, combien les débats entre les délégations des Etats membres, dont la France ,étaient nourris de la volonté de mieux accueillir la parole des enfants victimes d’agressions sexuelles, et d’y répondre dans des conditions optimales pour eux.

Pourquoi la France ne l’a-t-elle pas mise en application, ni les bonnes pratiques dégagées par le comité de suivi ? Elle impose de développer des outils adaptés pour prévenir la violence sexuelle, de former les adultes à la reconnaissance de ces situations, de promouvoir un accueil adapté aux enfants victimes et tout particulièrement à leur parole, et enfin de poursuivre et criminaliser les relations sexuelles entre un adulte et un enfant.

La France, qui avait été précurseur en la matière , notamment par la création du dispositif d’enregistrement de l’audition de l’enfant, dite” procédure Mélanie”, a fait la sourde oreille aux propositions de progrès , et je pense notamment à la systématisation manquée des lieux dédiés avec un accueil pluridisciplinaire des enfants (telle la maison des enfants d’Islande , adoptée par de nombreux pays européens ),la désignation immédiate dès la première audience d’un administrateur ad hoc pour assister les enfants dans la procédure judiciaire et faire valoir leur intérêt *, le développement des actions de prévention par tous les moyens à l’intention de la société tout entière.

Pourquoi une telle surdité aux constats portés par les professionnels depuis tant d’années et j’en fus en tant que juge des enfants, constatant la lenteur et les atermoiements des enquêtes ,qu’elles soient sociales ou judiciaires ,pour voir aboutir les révélations d’un  enfant victime, mais aussi comme présidente de la cour d’Assises ayant eu à constater lors des débats qu’il ne paraissait nullement incongru à bon nombre de jurés d’interroger le consentement d’enfants très jeunes ? Fallait il attendre la révélation d’un inceste dans les milieux du pouvoir pour qu’enfin la détresse de tous les enfants soit entendue ?

Non, nous n’avons pas le droit d’imposer aux enfants victimes de continuer à attendre la mise en application de dispositifs qui leur assurera un avenir meilleur

Josiane Bigot 

Magistrat honoraire

Présidente de Themis

Janvier 2021