Réforme de la justice des mineurs : interview de Josiane Bigot

Réforme de la justice des mineurs : interview de Josiane Bigot

« Après de multiples tentatives de réformes par les gouvernements précédents,  toutes avortées, quel est aujourd’hui l’intérêt d’une réforme de la justice des mineurs et qu’est-ce qui la rend nécessaire ?

On parle de la réforme de l’ordonnance de 1945 depuis de nombreuses années déjà, et de nombreuses propositions ont été faites, au gré des gouvernements, sous l’égide de juristes éminents. Madame Taubira fut la dernière à s’être emparée du sujet, et les propositions faites sous son égide se retrouvent aujourd’hui en grande partie dans de Code de la justice pénale des mineurs.

Retravailler l’ordonnance de 1945 était devenu une nécessité, mais cela ne pouvait se faire qu’en préservant l’esprit de cette ordonnance. On ne parlera jamais assez du contenu révolutionnaire et de la formule magnifique qui figure en son préambule, disant que la France n’était pas assez riche d’enfants pour pouvoir ne pas les protéger tous, et en particulier et prioritairement les enfants délinquants. C’est cet esprit de l’ordonnance de 1945, celui qui disait « aidons ces enfants délinquants à ne plus l’être et à s’insérer dans la société », que les professionnels de la délinquance des mineurs ont  souhaité voir conserver aujourd’hui. 

Avec le temps, de nombreuses modifications ont été introduites, et depuis la promulgation de l’ordonnance en 1945,  quarante  à cinquante réformes sont intervenues, ce qui la rendait quasi illisible pour les professionnels et surtout pour les usagers. Il était donc vraiment nécessaire que l’on envisage une réécriture, une simplification et même un toilettage. Il y a par exemple des terminologies qui sont désuètes aujourd’hui : on parle toujours de relèvement moral, ou encore de l’admonestation, qui est une des mesures les plus prononcées par le juge des enfants mais qui n’est plus réellement compréhensible pour les mineurs, alors qu’il s’agit en réalité d’un simple avertissement. 

Nous étions par conséquent convaincus  qu’il fallait une réécriture de ce texte, mais nous souhaitions  l’inscrire dans un Code de l’enfance ,ce qui aurait maintenu l’enfant délinquant – mais je préfère pour ma part parler d’enfant en conflit avec la loi, qui me paraît plus juste qu’enfant délinquant – dans le cadre de la protection de l’enfance, ce qui aurait aussi permis de dire qu’au fond, il appartient aux mêmes instances éducatives et judiciaires de s’occuper des enfants à protéger et des enfants en conflit avec la loi. 

Dans l’ordonnance de 1945, il était justement question d’établir en tant que pilier la primauté de mesures éducatives sur les mesures répressives. Mais au fil du temps, cette affirmation est devenue déliquescente, avec de nombreux rapprochements entre la justice des mineurs et celle des adultes dans les juridictions. Cette réforme permettra-t-elle de réaffirmer avec force la primauté de  ce principe éducatif ?

Dans ce Code de la justice pénale des mineurs, on ne peut qu’être déçus qu’il n’y ait pas un souffle comme celui qui habitait l’ordonnance de 1945. On y trouve simplement un article liminaire qui rappelle les principes de l’ordonnance – qui sont depuis devenus des principes constitutionnels – à savoir une justice et des juridictions spécialisées pour les mineurs, une diminution des peines et une prévalence de l’éducatif sur le répressif. Voilà les principes de base sur lesquels ce Code vient s’arrimer dans une forme de filiation à l’ordonnance de 1945. 

Mais dans la procédure qui sera mise en œuvre, il n’y aura pas du tout de rupture avec l’ensemble des réformes qui ont rapproché la justice des mineurs de celle des majeurs depuis les années 80. On aura même plutôt un ancrage vers cette accélération de la procédure, vers la volonté de montrer son effectivité et donc forcément son durcissement, ce qui me fait craindre que malgré ce principe liminaire, la procédure qui en découlera ne soit plus à la hauteur de ce que voulait l’ordonnance de 1945.

Il a d’ailleurs fallu batailler, ce qui est assez exemplaire de ce que ceux qui ont écrit cette réforme de la justice pénale des mineurs n’ont pas eu assez à l’esprit, pour obtenir un amendement adopté  par l’assemblée nationale, afin qu’il soit fait mention de l’intérêt supérieur de l’enfant comme de l’un des principes de base de la justice pénale des mineurs. Aujourd’hui figure  le rappel de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que priorité.

L’une des mesures phares de cette réforme, d’ordre procédural, est la mise en place d’une césure du procès pénal et d’une procédure de jugement en deux temps. N’est-ce pas là pourtant une nouveauté au bénéfice des mineurs auteurs d’infractions ? 

En réalité, la question de la césure n’est pas nouvelle, car elle était déjà inscrite dans les textes. Simplement, les juges ne s’en étaient pas emparés parce qu’elle ne leur paraissait pas pertinente. Aujourd’hui, on va la leur imposer suite à une intervention du Conseil constitutionnel à laquelle on ne s’attendait guère et qu’il est important de rappeler ; celui-ci a indiqué que le juge des enfants devait comme tout magistrat être impartial, et que par conséquent, il ne pouvait être à la fois celui qui instruisait la procédure et celui qui la jugeait. Cette contrainte s’est donc appliquée ces dernières années avec beaucoup de difficultés, puisque dans certaines juridictions, il n’y avait qu’un seul juge des enfants, ce qui a obligé d’autres magistrats à s’occuper de la phase d’instruction, pour qu’ensuite la phase de jugement soit réservée au juge des enfants. Dorénavant, tout acte d’instruction est interdit au juge des enfants. Cela permet plus aisément la césure que les magistrats n’avaient pas mise en pratique, mais qui encore une fois n’est pas une innovation.

Dorénavant on va imposer aux juridictions de juger dans un délai de trois mois un mineur lorsqu’il aura commis un acte de délinquance. Au bout de trois mois, on devra pouvoir dire s’il est coupable ou non, mais on devra également pouvoir dire à la victime si elle peut prétendre à être indemnisée ou non, puisque ce délai de trois mois détermine la culpabilité. Si la victime est prête, elle pourra donc faire état de son préjudice au terme de ce délai. 

Ceci étant, la césure et ce délai de trois mois ne valent pas pour toutes les procédures qui partent à l’instruction. Mais ce qui pose encore davantage question, c’est que cette procédure de double audience, l’une au bout de trois mois sur la culpabilité et l’autre six mois plus tard sur la sanction, puisse être contournée  dans la mesure où beaucoup d’exceptions à la règle sont prévues par le code.

Et quelles sont ces exceptions ? 

La césure  peut être contournée dans deux situations que l’on va résumer ainsi ; la première, ce sont les situations où il s’avèrerait complètement inutile de prononcer des mesures éducatives et où le magistrat pourrait donc juger en cabinet immédiatement et définitivement. Or, cela va concerner beaucoup de procédures qui dépendent du juge des enfants car je crois que ce que l’on oublie, lorsque l’on s’intéresse à la justice des mineurs, c’est que ceux que l’on appelle les mineurs délinquants réitérants ne représentent qu’une petite frange des dossiers, même pas dix pourcents. Pour la plupart des enfants, ils ne viennent qu’une seule fois au devant du juge avant que les parents ne reprennent leur rôle et ne fassent très bien leur travail, en rappelant quels sont les interdits et en quoi les enfants ont failli en ne les respectant pas. Cette exception prévaudra pour des situations telles qu’une conduite sans casque ou un vol dans un grand magasin par exemple, où le juge pourra régler la situation en une fois et définitivement.

La seconde situation, et c’est celle qui questionne le plus, c’est la volonté de supprimer ce double temps d’audience pour des mineurs déjà connus qui auraient fait l’objet soit d’une première mesure éducative, soit d’une première mesure pénale. Il faudra toutefois que ces mineurs aient aussi fait l’objet de rapports suffisamment complets dans l’année ayant précédé ladite procédure. Mais quand on sait comment évoluent les ados entre 14 et 15 ans, tout comme entre 15 et 16 ans, une année représente un temps bien long, permettant de multiples changements, et si l’on se fonde sur des éléments de personnalité, sur des éléments éducatifs d’il y un an, on n’aura absolument pas une image fidèle de l’enfant que l’on devra juger au moment X. C’est pour cette raison que nous sommes très nombreux à être particulièrement mécontents de cette possibilité, et pour le moment, ni l’Assemblée Nationale ni le Sénat n’ont été sensibles à nos arguments. 

Pour résumer, prenons l’exemple d’un jeune mineur interpellé par les services enquêteurs : il est placé en garde à vue et présenté dans la foulée au Procureur de la République. Celui-ci peut l’adresser directement au juge des enfants, ou même au juge des libertés et de la détention – là-dessus il y a un flou puisque le Sénat a dit que ça devait être une présentation un juge des enfants, l’Assemblée Nationale une présentation au juge des libertés et de la détention – en tout cas à un juge qui peut déjà mettre en place des mesures coercitives : soit une détention provisoire s’il a plus de 16 ans ou s’il a moins de 16 ans mais qu’il est suspecté d’un crime, soit un placement en Centre Educatif Fermé (CEF), soit des mesures de contrôle judiciaire. Si ces mesures sont prises, on peut fixer l’audience de jugement à dix jours, dix jours pendant lesquels le jeune ne retournera par principe pas chez lui. Par conséquent, au terme de ces dix jours il sera  jugé en une seule audience, et, s’il est déclaré coupable, on va pouvoir prononcer une peine, avec une diminution du quantum obligatoire s’il a moins de 16 ans, voire même sans diminution de peine s’il a entre 16 et 18 ans. Je donne cet exemple parce qu’il permet de constater qu’il n’y a plus de différence avec la comparution immédiate des majeurs. Or ce texte du Code pénal de la justice des mineurs prévoit qu’il ne peut pas y avoir de comparution immédiate pour les mineurs. Que l’on  m’explique alors la différence entre la comparution immédiate des majeurs et ce que je viens de vous décrire, qui n’est qu’une façon déguisée de juger de manière immédiate un mineur et de mettre en place des mesures coercitives avant même qu’il ne soit jugé. Il est évident que ces mesures d’exception vont devenir la règle pour les mineurs récidivistes.

Il est donc question de temps, avec toujours pour enjeu de trouver les moyens d’accélérer les procédures afin de désengorger les juridictions. Que pensez-vous alors de ces délais (trois mois pour juger sur la culpabilité, neufs mois pour juger de la peine avec entre ces deux temps l’amorce d’un travail éducatif) préconisés par le texte de la réforme ?

On aurait certainement dû prévoir des délais plus longs, déjà pour les trois premiers mois, puisque cela nécessite d’avoir des éléments sur la personnalité, éléments qui sont forcément  nécessaires pour se prononcer sur la responsabilité d’un mineur en retenant ou non son discernement, avant  de dire s’il coupable ou pas. Une simple expertise psychologique ou psychiatrique va en général au-delà de ce délai de trois mois. Une mesure judiciaire d’investigation éducative est prévue sur six mois. On va en conséquence demander à tous ces services, à tous ces professionnels, d’aller plus vite. Les psychiatres et les psychologues ne le feront pas, il ne faut pas être dupe. Quant aux services éducatifs ils essaieront, mais il y aura un engorgement. Ou alors ils le feront de manière raccourcie et pas forcément idéale. Ou bien ils n’y arriveront tout simplement pas et on mettra en place des mesures rapides comme on sait le faire, sans pluridisciplinarité, sans faire les investigations telles qu’on les fait aujourd’hui. Donc ces trois mois déjà sont insuffisants concernant la culpabilité.

Quant aux six mois, ils peuvent être prolongés jusqu’à neuf mois, mais la problématique est la même. On sait que pour prendre réellement la mesure de la personnalité d’un jeune, il faut le rencontrer plusieurs fois, il faut entrer dans son environnement proche, dans sa famille, dans ses milieux de fréquentation, tout ça avant que des équipes pluridisciplinaires n’interviennent pour effectuer un bilan complet. On sait donc que le pari de faire tout cela en six mois sera difficilement tenable.

Certes, il n’y a pas de sanction prévue si l’on ne tient pas ces délais, c’est vrai. Serait-ce donc un simple affichage ?

Est-ce à dire que cette réforme a manqué d’ambition, qu’elle n’est pas allée au bout de ses idées, notamment sur la question de la responsabilité pénale des mineurs ?

Pour ma part, je tiens beaucoup à l’idée d’une irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 13 ans, parce que je crois qu’il faut accepter que quelle que soit la gravité des actes commis par certains enfants, ils restent avant tout des enfants. Ils ne sont pas des criminels en puissance si nous les traitons en tant que tels et si effectivement on affirme que l’on peut agir de manière éducative avec eux, qu’on peut leur permettre de changer de comportement. Je crois que c’est réellement  une posture qu’il faut avoir. Et c’est d’ailleurs ce même principe qui est inscrit dans tous les textes internationaux, pas seulement la Convention Internationale des Droits de l’enfant, mais bien dans tous les textes internationaux, que ce soient les règles de Beijing, de Ryad, ou tous ceux adoptés depuis des années par les instances internationales. Ils ne fixent certes pas un âge d’irresponsabilité pénale pour les mineurs  – ces textes ne prétendent d’ailleurs pas fixer cet âge à 13 ans  – mais ils rappellent tous la nécessité pour chaque Etat de fixer un âge en-dessous duquel il ne sera pas question de dire qu’un enfant est pénalement responsable. Certains pays sont allés très loin et l’ont fixé à 16 ans. D’autres sont allés moins loin et ont préféré le fixer à 10 ans. 

La France, de son côté, a pris une certaine habitude de laisser des prérogatives aux enfants  au-dessus de 13 ans : ils sont en capacité de consentir à leur adoption, à un changement de  leur nom de famille. Et puis c’était aussi l’âge en-dessous duquel un mineur ne pouvait pas aller en prison, selon l’ordonnance de 1945. De manière assez commune, certains politiques pensaient même qu’il y avait  une irresponsabilité pénale avant 13 ans, ce qui n’a jamais été  vrai. À cet âge-là, on pouvait très bien être traduit devant un juge, être reconnu coupable et sanctionné et avoir un casier judiciaire.

Donc, cette détermination d’un âge en-dessous duquel il ne faut pas interroger pénalement un enfant me paraît une réelle nécessité, et ce code connaît  une avancée timide, la création d’une présomption de non-discernement en-dessous de 13 ans. Il ne s’agit  pas d’une présomption d’irresponsabilité, mais  de non-discernement. Le discernement, communément, cela veut dire qu’on est capable de savoir et d’avoir voulu l’acte que l’on a commis. Quand on discute avec les enfants, et c’est une question que nous leur posons souvent à Themis dans le cadre du projet de l’Odyssée Citoyenne, on voit bien la différence de réponse ; certains d’entre eux nous disent qu’à 5 ou 6 ans, un enfant sait déjà qu’il n’a pas le droit de voler quelque chose. D’autres pensent  que tant que l’on n’a pas 18 ans, un enfant ne sait pas vraiment. Et les adultes ont des avis tout aussi partagés. Il aurait donc fallu que l’on en reste à la question de l’irresponsabilité, parce que la question du discernement est une notion bien trop vague. C’est un terme qui reste à déterminer par les juges. Et puis il ne s’agit que d’une présomption simple, ce qui nous dérange davantage encore, puisque par conséquent, il sera toujours possible de prouver que cet enfant-là, dans ces circonstances-là, a bien été discernant et voulait ce qu’il a fait. 

Nous en avons eu un exemple très net lorsqu’il y a eu les moments d’hommage à Samuel Paty. Des enfants dans leurs classes, à 10 ans ou 11 ans, ont refusé de lui rendre cet hommage. Cela a été traduit pénalement parce qu’ils ont tenu des propos qui tombaient sous le coup de la loi pénale. Imaginons que ce Code soit déjà entré en vigueur : on sait très bien que compte-tenu de l’émotion suscitée dans l’opinion publique, les procureurs auraient poursuivi ces enfants en prétendant qu’ils savaient très bien ce qu’ils faisaient ou disaient et que par conséquent il fallait traduire pénalement leurs actes. Et ce sera le cas pour tous les actes qui seront soumis à un grand mouvement d’opinion, ce qui je pense tronque complètement les textes internationaux, qui d’ailleurs précisaient qu’il fallait que cette présomption ne soit pas une présomption simple mais bien une présomption irréfragable.

Donc oui, nous avons loupé un rendez-vous important ; on aurait dû dire qu’en-dessous de 13 ans on est un enfant au sens plein, sous la responsabilité entière des adultes qui ont en devoir premier celui de les éduquer. 

Mais comment expliquez-vous alors les véritables levées de boucliers au moment d’évoquer des lois protectrices pour les enfants victimes – avec notamment les nombreux débats sur un âge en-dessous duquel un enfant ne peut consentir à une relation sexuelle – et l’abandon de cette bienveillance éducative à l’égard des enfants auteurs d’infractions ? Ne sont-ce pas là les deux visages de deux enfances qui finalement n’en sont qu’une ?   

C’est exactement ce que j’essayais de dire au début de cet entretien lorsque je mentionnais le fait qu’il fallait inscrire les enfants en conflit avec la loi comme faisant partie de l’ensemble des enfants à protéger. Et c’est ce que l’on observe encore aujourd’hui, la suite du glissement très net initié dans les années 1980 qui renforce l’absence de volonté sociétale de protéger les enfants délinquants au profit d’une protection de la société face aux enfants délinquants. Et c’est vraiment  ce qui est en jeu. Aujourd’hui, nous sommes dans une crispation sociétale à l’égard des enfants délinquants, même s’ils ont moins de 13 ans, alors qu’on continue à être dans une société de la victimologie. Peut-être même trop, puisque l’on enferme souvent les personnes  et les enfants en particulier dans ce terme de victime ; il faudra bien un jour se saisir à bras-le-corps de cette question en leur redonnant une autre place  que celle de victimes. 

Cette société de la victimologie est prête à dire qu’en-dessous de 18 ans il faut être protégé contre les formes de violences, et notamment dans le cadre des infractions sexuelles. Il y a donc là un hiatus que l’on voit même pour des professionnels de la protection l’enfance, dans les discussions qu’il peut y avoir. Ceux-là mêmes qui viennent demander avec justesse une protection en-dessous de 15 ans, voire même de 18 ans sur la question du consentement pour les victimes mineures d’infractions sexuelles, affiment trop souvent qu’à 11 ans ou 12 ans, un enfant est déjà un agresseur sexuel. Ce sont exactement les mêmes professionnels. Cela me pose question, car à mon sens un enfant est un enfant, et cela devrait être posé comme une règle absolue. En-dessous d’un certain âge, nous n’aurions plus à nous poser de questions – est-ce qu’il est auteur ? est-ce qu’il est victime ? – et il faudrait le traiter éducativement par rapport aux actes dont il a soit été la victime, soit l’instigateur.

Justement, en marge de la réforme de la justice pénale des mineurs, un autre projet de loi la loi Billon a fait l’objet de vifs débats et de réactions auprès des citoyens. Celle-ci propose de criminaliser tout acte sexuel entre un majeur et un.e mineur.e de 13 ans, âge qui a été l’objet de la plupart des discussions parce que jugé insuffisamment protecteur pour les mineurs victimes. Quel est selon vous l’apport véritable de cette proposition de loi ? 

Nous avions déjà eu beaucoup d’espoir avec la loi Schiappa, puisque celle-ci voulait faire en sorte qu’il y ait une présomption de non-consentement pour les enfants de moins de 15 ans. Sauf que le Conseil d’Etat ayant eu à se prononcer sur ce projet de loi, objectait le fait que cette mesure était impossible en l’état du droit français, car on ne pouvait pas établir de présomption irréfragable, contraire à la présomption d’innocence, et que par conséquent, nous ne pouvions pas l’inscrire comme telle. 

À cet instant, madame Schiappa n’avait pas souhaité entendre tout ce qui lui revenait de la part des fédérations, du CNPE et des autres instances nationales. Nous lui avions dit qu’il fallait qu’elle revoie la qualification et qu’elle ne reste pas sur la notion du viol, mais qu’elle propose la création d’une infraction distincte et propre pour dire que toute relation sexuelle entre un adulte et un.e mineur.e de moins de 15 ans serait qualifiée de crime ou de délit s’il s’agissait seulement d’une atteinte sexuelle. Mais le texte est parti en l’état à l’Assemblée et au Sénat et a été adopté en tant que tel. Sauf qu’aujourd’hui nous constatons dans le rapport d’évaluation relatif à cette loi qu’elle  n’a absolument pas amélioré le sort des enfants victimes et que l’on continue à questionner les enfants, dans le cadre des interrogatoires de police ou de justice, ou durant les procès où il y a une confrontation avec la défense – ce qui est rarement évident – sur le fait qu’ils aient été ou non consentants.

Il faut donc absolument sortir de ces notions de consentement et de viol. La seule solution pour cela est un nouveau texte. Et c’est ce que propose ce projet de loi Billon, dont il faut dire car c’est essentiel, qu’il est un projet de loi antérieur à la parution du livre de Camille Kouchner. Il s’agit d’une loi qui a été déposée à l’été 2020, proposant l’incrimination en tant que telle de toute relation sexuelle d’un adulte avec un enfant de moins de 13 ans.

Ils se sont arrêtés à l’âge de 13 ans, ce qui a fait l’objet d’une proposition par le groupe socialiste qui proposait que cet âge soit fixé à 15 ans. Mais la majorité du Sénat ne l’a pas retenue et nous avons aujourd’hui une loi adoptée à l’unanimité qui fixe à 13 ans l’interdiction absolue de toute relation sexuelle d’un adulte avec un enfant. 

Donc c’est un progrès absolu, parce qu’il n’est plus désormais question de dire qu’il y a eu viol avec les éléments du viol – violence, contrainte, menace, surprise – mais d’une véritable interdiction absolue. Il conviendra juste de prouver que l’auteur connaissait l’âge, ce qui dans les affaires incestueuses ne posera pas question, puisque forcément l’auteur connaissait l’âge de sa victime.

Ce qui est mis en cause par ceux qui ne comprennent pas bien  en quoi ce texte est une avancée, c’est l’âge  de 13 ans. Et effectivement, le projet de loi qui est aujourd’hui  inscrit à l’Assemblée Nationale, qui n’est pas une reprise de cette loi mais qui est un projet de loi autonome déposé récemment dans une niche parlementaire par le groupe socialiste, propose la même incrimination mais retient l’âge de 15 ans. Et ce que feront les députés à l’instant du vote, pour l’instant nous l’ignorons.

Mais ce que je souhaiterais dire pour ma part, c’est qu’il y a une perte de temps. Parce que la proposition de loi du Sénat pourrait être reprise par l’Assemblée Nationale dans le cadre des navettes parlementaires si le gouvernement ou si un groupe l’inscrivait. Or ça n’est pas le cas, et donc le projet de loi du Sénat va rester lettre morte. Ceci est d’autant plus dommage que ce texte a été voté à l’unanimité par le Sénat, ce qui est tout de même assez rare. Et un amendement pouvait être pris pour fixer l’interdiction à 15 ans.

Toujours est-il que l’on aura peut-être au niveau de l’Assemblée Nationale un texte prévoyant une absence de consentement en-dessous de 15 ans, mais il ne sera pas plus applicable. Il faudra qu’il soit débattu au Sénat. Et que dira le Sénat ? Est-ce qu’ils vont accepter de voter un texte qui est à l’identique du leur et sur lequel ils ont déjà voté à l’unanimité ?

Encore une fois je ne le sais, mais on perd beaucoup de temps pour des chapelles politiciennes. 

Et qu’en est-il alors de l’autre pendant à ces qualifications d’infractions sexuelles, à savoir la question de la prescription, et en filigranes, de l’imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des mineurs tant souhaitée par de nombreux observateurs ?

On pose très souvent la question de l’imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur des enfants. Et dans l’absolu évidemment, on ne peut qu’être d’accord quand on constate les souffrances que cela engendre pour des adultes qui ont aujourd’hui 60 ou 70 ans et qui témoignent  qu’ils ont été victimes d’inceste. Mais en même temps, nous savons que pour faire aboutir un jugement de culpabilité, il faut tout de même avoir des éléments de preuve solides. On ne peut pas se contenter d’une parole accusatrice. Comment est-ce que l’on pourra faire aboutir ces procédures, c’est cela qui me pose question. Pour avoir présidé longtemps la cour d’assises j’ai vu les ravages des acquittements, mais il est évident aussi que l’on ne peut imaginer condamner sans preuve. Combien de désillusions sont à craindre ?

Pour autant, je suis très favorable à l’amendement qui a été proposé au Sénat et qui a été finalement adopté avec le soutien du garde des sceaux et du gouvernement, que l’on appelle la « prescription glissante ». C’est-à-dire que si l’une des victimes est dans les délais de la prescription – qui aujourd’hui est de trente ans à la majorité, ce qui est conséquent – cela fera repartir la prescription pour toutes les victimes dont les faits auraient déjà été prescrits. Dans ce cas, nous n’aurions plus cette injustice de voir la dernière victime en date aboutir à une procédure de culpabilité tandis que les autres en seraient privées.      

Finalement, cette question de l’imprescriptibilité, si elle venait à être posée pour les crimes sexuels commis envers les mineurs, ouvrirait aussi le champ à d’autres demandes pour d’autres infractions. Et dans ce cas précis, je préfèrerais pour ma part qu’il n’y ait plus de prescription, qu’il n’y ait plus de pardon social et qu’avec l’évolution des données scientifiques, qui permet d’aboutir à une élucidation bien après le délai de prescription, nous pourrions juger à tout moment et pour tout acte. Pourquoi pas, d’autres pays ont déjà fait ce choix.  »

La présente interview a été réalisée antérieurement aux dernières annonces du Garde des Sceaux relatives à la question du consentement des mineurs.es. dans le cadre d’infractions sexuelles commises par des majeurs.res. Dimanche 14 février, Eric Dupond-Moretti a annoncé vouloir fixer un seuil de non-consentement à 18 ans pour les violences incestueuses et à 15 ans pour les autres violences sexuelles.